L’installation scénique La tête et les Mains présentée par Anne-Laure Franchette à TOPIC à Genève, s’agence autour d’une boîte à outil monumentale, composée d’un réceptacle rectangulaire, divisé en trois parties, surmonté d’une anse, en bois. Les boites à outils prennent des formes variées selon les latitudes et les âges, les contextes et usages. Le professionnel comme l’amateur peuvent de nos jours survenir sur votre palier munis de complexes valises dotées de divers départements permettant l’agencement ordonné de clous, vis et pinces aux tailles variées, couleurs et charmes se déployant comme un paon à l’ouverture de la boîte. La boîte exposée à TOPIC n’a pas ces atours. C’est une boîte essentielle, minimale. Ce minimalisme est à la fois une réduction significative de son idée, permettant d’entrevoir ce qui tiendrait du cœur des boîtes à outil, et une évocation directe de leur présence ancestrale sur les chantiers de la transformation du monde : le modèle fait-main utilisé pour la réalisation de cette boîte est un modèle que l’on retrouve un peu partout sur les chantiers de construction, aujourd’hui, en Suisse, parmi le vaste appareil technologique dont disposent les constructeurs. Transposée à l’échelle 3 : 1, la boîte gagne une sculpturalité ambiguë ; objet transitoire comme le chantier lui-même, éphémère moment entre le modèle de l’architecte et le bâtiment qui le recouvrira, sa mobilité et fonctionnalité première sont arrêtées le temps d’en apprécier les qualités. Derrière elle, le signe T.T, pour Travaux Temporaires, renvoie au travail que Franchette poursuit depuis 2018 sur ces espaces de devenir et de disparition que sont les chantiers de construction, étant depuis 2020 artiste en résidence sur un site de Winterthur. L’assemblage de la boîte est ainsi fait à partir de bois de coffrage, provenant de chutes récupérées sur les nombreux chantiers du quartier où se trouve l’espace d’exposition. Accrochée sur un mur, une combinaison de peinture pointe vers les corps des travailleurs, dont les amateurs pourront apprécier la référence au peintre ouvrier du monde de l’art qui se nourrit de l’expérience professionnelle de Franchette, qui travailla un temps comme assistante d’artiste dans un grand studio londonien. Un porte-clefs enfin, émergeant d’une poche, présente une bijouterie rouillée ; des chaines et pendentifs s’échappent de planches au rebut. Il s’agit là de mauvaises herbes, ramassées sur les terrains vagues des chantiers, encastrées dans de la résine qui rehausse et magnifie cette nature transitoire. L’artisan ici encore est rappelé à notre mémoire. Entre économie des savoirs, et savoirs de mains-d’œuvre, La Tête et les Mains expose le métabolisme urbain, saisi dans la circularité qui mène de l’extraction du sol à la pensée de son architecture à venir, conviant les outillages variés qui s’entremêlent dans le façonnement du présent.
Texte : Gabriel N. Gee
Description des éléments constituant l’installation La Tête et les Mains
T.T (Travaux Temporaires) Logo. Tampon de société agrandie et peint à la laque rouge. Cette société imaginaire crée par l’artiste, documente les objets et outils éphémères construits sur les chantiers, réalisant des dessins techniques et des répliques agrandies et/ou rétrécies. Une publication est en cours de préparation avec TETI press.
Boîte à outils réalisée en bois de coffrage récupéré sur les chantiers de construction autour de Topic. Agrandissement 3 :1 d’un modèle trouvé sur un chantier à Winterthur.
Combinaison de peintre fournie par l’atelier d’un artiste Londonien à ses assistants. L’artiste y travailla quelques années comme assistante peintre et restauratrice.
Porte-clés et bijoux d’herbes rudérales récupérées autour des chantiers de construction près de Topic. Encastrés dans de la résine bio avec pigments naturels. Chaines rouillées.
Chutes de chutes de bois. Bois de coffrage récupéré sur les chantiers de construction autour de Topic et ayant servi à réaliser la boite à outils. Rangés par taille et par forme.
Anne-Laure Franchette (vit et travaille à Zurich) a étudié les beaux-arts à la Zurich University of the Arts, la scénographie à la University of the Arts London et l’histoire de l’art à l’Université Paris 10. Elle s’intéresse particulièrement à la nature urbaine et aux matériaux industriels, à la question du transitoire et de l’entre-deux.
Depuis 2018, elle fait partie du groupe de recherche interdisciplinaire TETI, qui explore les textures et les expériences de la trans-industrialité. Elle est cofondatrice et directrice artistique de VOLUMES, une organisation à but non lucratif dédiée à l’édition artistique. A Zurich, elle a également initié le Zurich Art Space Guide et le collectif BadLab.
Ses expositions récentes incluent:
Travaux Temporaires (2021), Kunstkasten Winterthur CH (solo show); Ghost Ship (2021), Kulturfolger Zurich, CH; Re-sentir tous les jours, techniques de résistance (2020/21), Mécènes du Sud, Montpellier, FR; Imagine the Past – Reflecting the Future (2020/21), Dienstgebäude, Zurich, CH; true grid irl (2020), unanimous consent, Oerlikon, CH; Oops a Daisy ! (Urban Management Remix) (2020), Dietikon Projektraum, Dietikon, CH; Les Mauvaises Herbes Résisteront (2020/21), CACN, Nîmes, FR; Modern Nature 2 (2020), La Becque, La Tour de Peilz, CH; Habitat (2020), Public Art Biennial, Morcote, CH; Retour à Rome (2019/20) Istituto Svizzero, Rome, IT.
Ce projet, développé pendant une résidence de recherche de vingt jours à Genève, est une co-production entre TOPIC, Picto, et Utopiana. Avec le soutien de la fplce, la Loterie Romande et le FCAC, Fonds cantonal d’art contemporain, Genève.
Photographies par Sandra Pointet